MA CHAIR EST LA VRAIE NOURRITURE, ET MON SANG EST LA VRAIE BOISSON

SOLENNITE DU SAINT SACREMENT, ANNEE A

TEXTES: Dt 8, 2-3.14b-16a; Ps 147 (147 B), 12-13, 14-15, 19-20; 1 Cor 10, 16-17; Jn 6, 51-58.

« Ma Chair est la vraie Nourriture, et Mon Sang est la vraie boisson », nous dit Jésus dans l’Evangile selon Saint Jean. Comment pouvons-nous comprendre la célébration du Saint Sacrement dans notre vie chrétienne aujourd’hui ? Que signifient le pain, le vin, des espèces qui nous renvoient au corps et au sang du Christ ? Tout d’abord « Corps » ne signifie pas corps et « sang » ne signifie pas sang. Ce n’est pas le sacrement de la chair et du sang physiques de Jésus.

L’anthropologie juive nous enseigne que, l’homme est une unité indivisible, mais il a découvert en lui quatre aspects : homme-chair, homme-corps, homme-âme, homme-esprit. L’homme-corps était l’être humain en tant que sujet des relations. En disant, « ceci est mon corps », nous voulons dire : c’est moi, ceci est ma personne. Pour les Juifs, le sang n’était pas seulement un symbole de vie, c’était la vie elle-même. Quand Jésus dit : « ceci est mon sang qui est versé », il dit : c’est ma vie au service de tous, une vie totalement donnée aux autres, une vie donnée pour le salut du monde, « Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde ».

Aussi, le « sang » dans la tradition biblique représente la vie même, celle que Dieu donne à ses créatures et qui ne peut être consommé. Le sang est la part qui doit, dans la manducation comme dans les sacrifices, retourner à Dieu : « Seulement, vous ne mangerez pas la chair avec son âme, c’est-à-dire son sang » (Gn 9, 4). La référence au sang à boire constitue une réelle provocation car la Loi interdisant de consommer le sang (Lv 17, 10-11). Donc, nous comprenons bien ce que signifie quand Jésus dit : « ceci est mon sang », il dit que c’est ma vie qui est déversée, consommée pour le bénéfice de tous. Ce qui était une chose plus horrible pour les Juifs, c’est de s’approprier la vie (le sang) d’un autre. Et pourtant c’est ce que Jésus a fait et a accompli pour nous. Il nous donne sa vie et nous demande de la répéter en mémoire de lui. Alors, notre vie ne sera chrétienne que si elle est répandue, si elle est consommée, au profit d’autres personnes comme la sienne.

Célébrer l’Eucharistie, le Saint Sacrement, n’est autre que s’engager à être pour les autres. Toutes les structures basées sur des intérêts personnels ou de groupe ne sont pas chrétiennes. Une célébration de l’Eucharistie compatible avec notre égoïsme, avec le mépris de nos frères/Sœurs, avec nos haines et nos rivalités, avec nos complexes de supériorité, qu’ils soient personnels ou communautaires, n’a rien à voir avec ce que Jésus a voulu exprimer lors de la Dernière Cène avec ses disciples. Dès lors, nous comprenons que les signes ne sont pas du pain et du vin, mais du pain rompu et du vin versé. D’ailleurs selon l’histoire, l’Eucharistie a été appelée « la Fraction du pain ». Il ne s’agit pas du pain en tant que chose, mais du geste de rompre et de manger. En se brisant et en se laissant manger, Jésus rend Dieu présent, parce que Dieu est LE DON INFINI, un abandon total à tous et pour toujours.

La chair que Jésus se propose de donner à manger représente toute sa vie et toute sa personne (ses actes, ses paroles, son amour, la qualité de ses relations humaines, jusqu’au lien privilégié avec son Père et notre Père). Alors tout dépend de nous. Si nous voulons être chrétiens, nous devons partir, distribuer, nous laisser manger, écraser, assimiler, disparaître au profit de l’autre : « Que je mange, c’est bien, mais que l’autre mange, c’est très bien », nous dit E. Levinas. Nous pouvons aussi méditer sur ces passages de la Genèse : « c’est la chair de ma chair » (Gn 2,23) s’écrit Adam à propos d’Ève ; « Il est notre frère, notre chair » (Gn 37,27) dit Juda à propos de son frère Joseph, qu’ils avaient vendu. Une communion sans cet engagement est une plaisanterie, une comédie, un folklore sous le soleil du midi.

L’Eucharistie nous renvoie à la communion. Notre Saint père nous dit quelque chose très profond « Donne-leur toi-même à manger. Et tu peux répondre : J’ai peu de choses, je n’en suis pas capable. Ce n’est pas vrai. Ton peu de choses est beaucoup aux yeux de Jésus, si tu ne le gardes pas pour toi, si tu le mets en jeu ». Le Pape continue en disant, ce Pain de l’Eucharistie libèrera en nous la force de l’amour si nous l’accueillons avec le cœur. « Le Seigneur vient dans nos rues pour dire-du bien de nous et pour nous donner du courage. Il nous demande d’être bénédiction et don » pour nos frères/sœurs.

Par ailleurs, soulignons en cette solennité du Saint Sacrement que ce ne sont pas ceux/celles qui sont « dans la grâce » qui peuvent s’approcher de la communion. Nous sommes tous les misérables qui ont besoin de découvrir l’amour gratuit de Dieu. Ce n’est que si je me sens pécheur que j’ai besoin de célébrer la Sainte-Cène. Quand j’ai besoin du signe de l’amour, c’est quand je me sens séparé de Dieu. Il est absurde d’arrêter la communion quand j’en ai le plus besoin.

Somme toute, la célébration du Saint Sacrement nous plonge dans une transcendance que nous ne pouvons pas en réalité exprimer par les mots mais une expérience personnelle et communautaire. Elle s’installe dans l’histoire juive et prend une forme concrète et définitive en la personne de Jésus : c’est faire « action de grâce », faire l’anamnèse de la passion et de la résurrection de Jésus Christ, « le Verbe qui s’est fait Chair ». C’est dans cette perspective que l’Eglise et ses fils/filles célèbrent le pain eucharistique, le « pain du Ciel » (Jn 6, 57-59). Boire le sang fait référence à la croix du Christ, à son sang versé, en tant que Fils du Père, pour la multitude et par amour.

Dans le même évangile, un des soldats, d’un coup de lance, le frappa au côté, et aussitôt il en sortit du sang et de l’eau (Jn 19,34). Ce Fils de l’homme glorieux et vainqueur sur le mal, venant dans la nuée des Cieux établir le pouvoir et le règne de Dieu (Cf., Dn 7,13), se présente sous les traits inattendus du futur crucifié. Car, « pour moi, quand j’aurai été élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes » (Jn 12,32). Manger sa chair, boire son sang, devient dès lors une communion à ce Dieu que Jésus révèle jusque sur la croix. Sa vraie nourriture, sa vraie boisson, sa véritable chair, son sang véritable, c’est cet amour livré, donné, pour révéler le visage du Père. Un amour auquel personne croyante est invitée à communier.

Que devant la Lumière du Verbe et l’Esprit de Grâce se dissipent les ténèbres du péché et la Nuit de l’incroyance. Et que l’Amour de Jésus habite dans nos cœurs. Amen !

P. Roméo Yémso, SVD.

Leave A Comment